Dans une des chambres exigues de la Taverne de Gahl, Livedell, affalée lascivement sur sa paillasse, coiffait avec systématisme les poils de dalicéros rèches et emmêlés du couvre lit.
Tant de temps avait passé depuis sa fuite de Taur... Elle avait perdu tout le monde, toute sa vie, tous ses espoirs...
Et puis elle était arrivée ici, en Gahl, et y avait recommencé une nouvelle vie... ou plutôt un simulacre de nouvelle existence bâti sur les cendres d'une ancienne vie qu'elle n'avait jamais voulu enterrer.
Ses disciples, ses nouveaux et très rares amis, elle les aimait d'un sincère et profond sentiment, cela était indéniable. D'ailleurs ses élèves resteraient à jamais ses protégés, et ils pourraient toujours compter sur elle.
Malgré tout il lui semblait, qu'après un moment de bonheur parfait, dû certainement au réconfort de n'être plus seule, esclave et en danger, elle traversait une longue et douloureuse période de nostalgie. La tristesse s'emparait d'elle, et ternissait chaque décille de ses journées comme un voile noir impénétrable.
Plus elle y réfléchissait et plus il lui apparaissait qu'elle n'avait pas réussi à s'intégrer en ce peuple qui n'était que son cocon adoptif. Elle se sentait seule malgré les namidas qui la fréquentaient, fragile malgré l'apparent charisme qui émanait d'elle.
Elle aimait cette ville, ses habitants, ses coutumes.. Mais elle n'arrivait à effacer les siennes propres et se sentait différente, pas à sa place.
Se levant lentement, quittant la douce chaleur de sa couche, elle attrapa ses vêtements sur le dossier d'un siège d'osier, et les passa rapidement. Serrant au maximum son corset, elle le noua avec fermeté et jeta sa cape sur ses épaules.
S'approchant de la fenêtre, elle siffla un corbeau dodu et quelque peu emprunté qui ne tarda pas à atterrir sur le rebord mousseux.
Elle lui remit quelques petits plis enroulés et le lança.
La communauté serait bientôt au courant et elle ne voulait croiser personne. Aussi, saisissant son maigre paquetage témoin d'une vie écourtée et décimée, elle passa le pas de la chambre et referma derrière elle.
Elle descendit les escaliers, déposa les clés sur le comptoir et salua le tavernier d'un signe de tête. Elle en avait parlé avec lui la veille, longuement, trouvant en cet homme tané par l'expérience une oreille attentive et un confident de bon conseil.
Livedell eut tôt fait de passer le grand portail magique de la ville et elle s'enfonça dans la nature luxuriante des provinces elfiques, ombre noire, longiligne et fugace...